armée française des années 1930

La dissuasion avant l’ère nucléaire : l’exemple de l’armée française des années 1930 face à l’Allemagne nazie [1/4]

Introduction générale

En mai 1934, le général Weygand – chef d’état-major des armées – affirme devant le Conseil supérieur de la guerre que la France ne peut affronter une menace allemande sans risquer la catastrophe. Il lui semble impératif d’augmenter la force militaire permanente française en période de paix.

Cependant, il n’est pas écouté par les ministres. L’idée est retenue seulement chez une partie des militaires. À la fin des années 1920, Hitler écrivait dans Mein Kampf :

« Qu’on ne vienne surtout pas parler de l’improbabilité d’un succès militaire contre la France »[1]

Il a conscience que la France de ces années a changé, militairement parlant, par rapport à celle victorieuse de 1918. Elle peut donc être battue, tout comme le sous-entendait le général Weygand en 1934.

Général Maxime Weygand. Il se distingue pendant la Première Guerre mondiale. Au début des années 1930, il devient Chef d’État-Major des armées (CEMA), et prend comme bras droit Corap. Il a eu une vision très juste de l’armée et des changements qu’il fallait y faire
Général Maxime Weygand. Il se distingue pendant la Première Guerre mondiale. Au début des années 1930, il devient Chef d’État-Major des armées (CEMA), et prend comme bras droit Corap. Il a eu une vision très juste de l’armée et des changements qu’il fallait y faire, auteur inconnu, années 1920-1930, Wikimédia Commons

Ces deux analyses soulèvent une question importante : celle de la dissuasion. Lucien Poirier, ancien général et spécialiste de la dissuasion nucléaire, définissait ainsi la dissuasion avant l’époque nucléaire :

« La stratégie de dissuasion est un mode préventif de la stratégie d’interdiction, se donnant pour but de détourner l’adversaire d’une initiative en lui faisant prendre conscience que l’entreprise qu’il projette est irrationnelle. »[2]

L’idée serait donc de faire renoncer l’Allemagne nazie à son intention belliqueuse au sujet de la France. Pour cela, il faut analyser la puissance militaire française.

Cette dernière repose sur son armée, c’est-à-dire sur l’ensemble des forces militaires dont elle dispose. Autrement dit, sur sa démographie, les formes de recrutements, ses moyens, son armement, sa culture stratégique, et ses moyens politiques et économiques. Il y a également dans les années 1930 le rôle important de l’empire colonial.

La pensée et l’action de l’Allemagne nazie (étant un régime totalitaire) vont de pair avec la personnalité d’Hitler. Ses manières de pensée et de gouvernance représentent autant de clés de compréhension pour concevoir ce qu’est l’Allemagne nazie dans ses grands aspects. Même s’il fut rédigé dans les années 1920, il est très intéressant d’utiliser Mein Kampf pour comprendre un aspect de notre sujet, puisque, d’une part, ce livre est un testament politique et que, d’autre part, sa diffusion auprès des Allemands fut généralisée à grande échelle (il fut offert lors des mariages, ou même donné aux ouvriers méritants…).

En parallèle, la France des années 1930 est dans une forme de crise profonde au sein de sa population et de son cadre politique. Pour Maurice Vaïsse, la France de l’entre-deux-guerres est une « Nation satisfaite, la France se laisse aller à l’illusion de la paix. La France se dote d’un système défensif. La ligne Maginot finit par symboliser sur le sol français la bonne foi pacifiste »[3]. Tout cela se voit par l’instabilité gouvernementale et les scandales financiers[4] ; le Front populaire, le réarmement qui s’avère très compliqué[5], et la croissance démographique et économique très faible. En somme, la France des années 1930 n’est plus celle qui brille par son prestige en 1918. L’Allemagne connaît-elle tous ces problèmes français ?

L’Action française, une du 7 janvier 1934
 L’Action française, une du 7 janvier 1934, l’Action française, 1934, Gallica Digital Library, Wikimédia Commons

À la suite de la Première Guerre mondiale, l’armée française est vue comme la meilleure de son temps. Or, dans les années 1930, cette prédominance française est vouée à changer. En effet, les problèmes internes qu’a connu la France de cette décennie ont entraîné des répercussions sur son rayonnement international, mais aussi sur son armée. En revanche, si celle-ci est mise à mal, la France perd une force de dissuasion importante. En parallèle, l’Allemagne nazie, belliqueuse et hostile à la France, règle ses problèmes intérieurs tout en se reconstituant une armée. Il semble alors légitime de se demander si cette armée française des années 1930 fut un outil de dissuasion vis-à-vis de l’Allemagne nazie. In fine, nous observerons, tout au long de ce dossier, le principe de dissuasion quand l’arme atomique n’existait que dans l’imaginaire de quelques scientifiques zélés.

Afin d’observer cette question de la dissuasion avec l’armée française des années 1930, nous devons nous interroger sur trois points. Tout d’abord, sur l’armée française elle-même : est-elle toujours la première puissance européenne continentale que l’on entend ? Puis, qui dit dissuasion, dit aussi vision de l’autre. C’est pourquoi nous étudierons la perception de la France et de son armée par l’Allemagne nazie. Enfin, nous établirons une synthèse de ces dissuasions qui existaient avant l’ère nucléaire.

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Bibliographie sélective

« Déclaration Bonnet-Ribbentrop », dans La Croix de l’Aveyron, vol. 49, n°50, Rodez, La Croix de l’Aveyron, 1938, 8 p., pp. 1-2, [en ligne] https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration_Bonnet-Ribbentrop (dernière consultation le 14/08/2018)

Gazette des armes, n°74, Paris, Régi’Arm, 1979, 60 p.

Match, l’hebdomadaire de l’actualité mondiale, n°41, Paris, Match, 1939

ALLAIN Jean-Claude, GUILLEN Pierre, SOUTOU Georges-Henry, THEIS Laurent et VAÏSSE Maurice, Histoire de la diplomatie française, t. 2, Paris, Perrin, 2007, 636 p.

ASLANGUL Claire, « De la haine héréditaire à l’amitié indéfectible. Quelques images symboles de la relation France-Allemagne, 1870-2009 », dans Revue d’Histoire des Armées, n°256, Vincennes, Service historique de la Défense, 2009, 146 p., pp. 3-13, [en ligne] https://journals.openedition.org/rha/6802 (dernière consultation le 14/08/2018)

BAINVILLE Jacques, Histoire de deux peuples, la France et l’Empire allemand, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1915, 317 p.

BERGUES Hélène, « Répercussions des calamités de guerre sur la première enfance », dans Population, vol. 3, n°3, Aubervilliers, Institut national d’études démographiques, 1948, 596 p., pp. 501-518, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1948_num_3_3_1955 (dernière consultation le 14/08/2018)

BERSTEIN Serge et MILZA Pierre, Histoire de la France au XXe siècle, t. 2, Paris, Perrin, 2009, 739 p.

BLIN Arnaud et CHALIAND Gérard, Dictionnaire de stratégie, Paris, Perrin, 2016, 1117 p.

CAILLETEAU François et PELLAN Alain, Les officiers français dans l’entre-deux-guerres : une génération dans la tourmente, Paris, Economica, 2012, 150 p.

CASTEL Pierre, « Quand l’indépendance est aussi stratégique », dans La Revue d’Histoire Militaire, Les Lilas, La Revue d’Histoire Militaire, 2018, [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2018/07/05/quand-lindependance-est-aussi-strategique-retour-sur-lactualite-nucleaire/ (dernière consultation le 14/08/2018)

CASTEX Raoul, Théories stratégiques, Paris, Economica, 1996, sept tomes

Centre national de la recherche scientifique, Les relations franco-allemandes, 1933-1939, Paris, Éditions du CNRS, 1976, 424 p.

CHAUVINEAU Louis, Une invasion est-elle encore possible ?, Paris, Berger-Levrault, 1939, 218 p.

CLODI Nicole, « Churchill et le pouvoir des mots », dans La Dépêche, Toulouse, Groupe La Dépêche du Midi, 2018, [en ligne] https://www.ladepeche.fr/article/2018/01/06/2716837-churchill-et-le-pouvoir-des-mots.html (dernière consultation le 14/08/2018)

CORVISIER André (dir.) et PEDRONCINI Guy (dir.), Histoire militaire de la France, t. 3, Paris, Presses universitaires de France, 1992, 522 p.

DE GAULLE Charles, Le fil de l’épée, Paris, Berger-Levrault, 1932, 171 p.

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HITLER Adolf, Mon combat, Paris, Nouvelles éditions latines, 1934, 685 p., traduit par CALMETTES André et GAUDEFROY-DEMOMBYNES Jean

KEYNES John Maynard, Les conséquences économiques de la paix, Paris, Nouvelle Revue française, 1920, 237 p.

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PAOLI François-André, L’armée française de 1919 à 1939, t. 4, Paris, Service historique de l’armée, 1975, 239 p.

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VAÏSSE Maurice, Sécurité d’abord : la politique française en matière de désarmement, Paris, Pedone, 1981, 653 p.

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WEBER Eugen, La France des années 30 : tourments et perplexités, Paris, Fayard, 1995, 417 p., traduit par DAUZAT Pierre-Emmanuel

WEINRICH Arndt, « D’une guerre à l’autre. Le Frontsoldat de la Grande Guerre et la remobilisation de la jeunesse allemande », dans Revue d’Histoire de la Shoah, n°189, Paris, Mémorial de la Shoah, 2008, 714 p., pp. 373-389, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-373.htm (dernière consultation le 14/08/2018)


[1] HITLER Adolf, Mon combat, Paris, Nouvelles éditions latines, 1934, 685 p., traduit par CALMETTES André et GAUDEFROY-DEMOMBYNES Jean

[2] BLIN Arnaud et CHALIAND Gérard, Dictionnaire de stratégie, Paris, Perrin, 2016, 1117 p., pp. 266-271

[3] VAÏSSE Maurice, Sécurité d’abord : la politique française en matière de désarmement, Paris, Pedone, 1981, 653 p.

[4] À l’exemple du 6 février 1934 et de l’antiparlementarisme, il suffit de voir les nombreux gouvernements qui se succèdent dans ces années. Il n’y a donc pas de continuité politique possible, surtout en Affaires étrangères.

[5] Première période où l’on considère seulement un bouclier : la création de la ligne Maginot (budget pour elle, les corps d’infanterie aussi). Seconde période, difficulté pour le réarmement : on ne sait où mettre les budgets. À ce sujet, voir FRANK Robert, Le prix du réarmement français, 1935-1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, 382 p.

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